Le président 4 : l’empire d’essence.

Dimanche soir. Enfermé dans son bunker, le Président s’est fait installer une deuxième télévision, le temps du tournoi de Roland Garros. Ainsi il peut regarder simultanément les bagarres sur terre battue, et les manifestations et combats de rue. Aux six coins de la France.

Les français font la queue pour entrer à Roland Garros, les français font la queue pour remplir le réservoir de leur voiture. Et bientôt, ils feront la queue pour prendre les transports en commun. Ça déraille à la SNCF, ça rame à la RATP. Les conflits s’installent un peu partout, le mécontentement est général, les français râlent.

Un verre de Viré-Clessé à la main, le Président s’adresse à sa maitresse.

-Le petit coq commence à m’agacer. Il est droit dans ses bottes, il se prend pour le meilleur d’entre nous, et pendant ce temps le réservoir de mon scooter est vide.

-Tu as manqué d’anticipation. Gouverner c’est prévoir.

-Non, gouverner c’est pouvoir. Je me demande si je ne vais pas pouvoir le remplacer.

-Par qui ?

-Dommage qu’Ibra ne soit pas français, c’est un gagnant, lui.

-Zizou ?

-Génial !

Tellement content, le Président avale son verre d’une traite sans en apprécier la subtile saveur. L’image de Richard Gasquet apparait sur l’écran de droite. Si seulement il pouvait gagner le tournoi ! Ce serait une belle préparation à l’Euro de foot. Les syndicats ne vont quand même pas gâcher cette fête ! Ce serait vraiment insupportable.

Vers midi, devant la raffinerie, des pneus et des palettes brûlent pendant que les grévistes trinquent d’un gobelet de Beaujolais. Une planche sur deux tréteaux leur sert de table, où ils partagent les chips, le pâté, le jambon, la salade de pâtes. Ils savent que les CRS vont bientôt intervenir, alors ils prennent des forces avant que celles de l’ordre ne déboulent. Un détail toutefois inquiète certains d’entre eux. Le réservoir de leur voiture est quasi vide, et ce sont eux qui bloquent les raffineries.

Le téléphone du Président sonne. Tout en se resservant il décroche, il a reconnu le numéro de la Ministre de l’environnement.

-Dis-donc Président, tu as vu les images à la télé ? Tes grévistes brûlent des tonnes de pneus et de palettes. Ces feux réchauffent l’ambiance mais aussi la planète. C’est très mauvais pour le climat. Que vas-tu faire ?

-Euh ! Leur demander de brûler des pneus plus petits ?

-Et toi, si tu revoyais ta loi Tracas ?

-Manuel ne veut pas.

-Quoi ?

-Ne te fâche pas Ségo, j’ai encore besoin de lui face à l’homme aux grosses moustaches.

-Président, fais cesser ces feux.

-Oui, oui, promis.

Du coup le Président est tout énervé. Il prend une gorgée de Chardonnay et ferme les yeux. Il n’imaginait pas que gouverner fut aussi compliqué. Une petite voix susurre dans sa tête : et tu veux en reprendre pour cinq ans ? Ou tu fais exprès de tout rater pour ne pas être réélu ?

Le Président n’entend plus, il dort, il fait si moche dehors, il rêve de son scooter.