Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

KristeletPierre.over-blog.com

KristeletPierre.over-blog.com

Retrouvez mon univers littéraire et musical : mes humeurs, mes coups de gueule, des infos sur mes romans (Kristel, Martin). Et de temps en temps, une photo.


DES SOLDES DE REVE !

Publié par Régis Pinguet sur 14 Octobre 2016, 20:11pm

Catégories : #littérature

Les soldes ! J’adore ces moments de l’année où l’on a un merveilleux prétexte pour claquer ses euros sans aucun autre prétexte. La fièvre monte lentement les semaines précédentes, j’y pense, je note dans ma tête ce qui me manque, les chemisiers défraîchis que je pourrais remplacer, les chaussures usées que je n’ai pas eu le courage de jeter. Et bientôt, il ne reste plus que quelques jours, c’est le moment du repérage. Chaque midi, et parfois le soir au sortir du bureau, je visite méthodiquement les boutiques, de Montparnasse à Odéon, en passant par Saint Germain des prés. Vaste territoire. Geoffroy, mon mari, devine cette période en regardant mes pieds.

-Tiens Vivi, tu as ressorti tes chaussures de chasse aux soldes !

 

Je m’appelle Marie-Viviane, c’est original mais pas un cadeau, alors va pour Vivi. Et effectivement j’ai une paire de chaussures spécial soldes. Elles sont presque plates, très confortables et bien amorties. L’élégance n’est pas leur point fort, mais le soir je n’ai pas les pieds en compote et je peux repartir dès le lendemain à la quête du Graal. Mes reconnaissances sont précises. Carnet en main, je note les adresses, les prix, les couleurs de tout ce qui me serait utile, voire superflu mais craquant. Le soir, après notre léger dîner (ce n’est pas le moment de prendre du poids !), je relis mes annotations, souligne ce qui me paraît essentiel, et biffe les doublons sous l’œil amusé de Geoffroy.

 

Geoffroy est mon second mari depuis 10 ans. Quand je l’ai rencontré à 31 ans, je sortais d’une histoire intense à la rupture éprouvante. J’avais vécu 4 ans avec un trader plus âgé que moi. L’argent coulait à flots, le champagne aussi, nous allions régulièrement au restaurant, et les week-ends se partageaient entre faire la fête à Paris, Marrakech, Florence ou Ibiza. C’était la belle vie, la vie facile. Sauf que Fabrice buvait et sniffait de plus en plus, il s’enfonçait dans son rêve d’argent fou. Peu à peu j’ai compris qu’il se noyait dans le présent et que nous n’avions pas d’avenir. La séparation fut déchirante, je l’aimais malgré tout, j’aimais cette vie de plaisir, tout en voyant qu’elle ne me menait à rien et qu’en restant avec lui je cautionnais son alcoolisme, son addiction à la cocaïne, et sa fuite en avant. Lorsque je lui ai annoncé mon départ, il était sous amphétamines et a piqué une colère monstrueuse. J’ai même pris une paire de claques, ce qui a pour moi mis un terme définitif à cette aventure. La plaie est restée ouverte plusieurs mois, nous avions vécu tellement de moments forts ! En convalescence, j’ai rencontré Geoffroy sur un court de tennis dans un club de vacances, où j’essayais de me ré-ouvrir au monde, au vrai monde. Nous étions aussi peu doués l’un que l’autre face à la petite balle jaune bondissante, et nos fou-rires nous ont rapprochés. Le soleil et quelques verres de jus de fruit au bar ont fait le reste. Geoffroy est un homme simple, naturel, terre à terre. Il est horloger bijoutier, passionné par la mécanique des montres anciennes. Pas de trace de cocaïne sur ses narines ! Avec lui j’ai trouvé une vie saine et équilibrée. Sauf à la saison des soldes.

 

Enfin le grand jour arrive ! La veille, je préviens mon chef que mes horaires seront élastiques, soumis aux aléas de cette grande aventure humaine que sont les soldes. Il hoche la tête d’un air entendu, je lui fais le coup tous les 6 mois. Ce matin du jour J de janvier, j’enfile ma tenue de combat : les fameuses chaussures spéciales, un pantalon solide, un pull à col roulé chaud et ne craignant rien. Je ne me rends pas à un concours d’élégance, mais à une sorte de ruée vers l’or. Mes collègues hommes ricanent en me voyant arriver, moi qui suis d’habitude coquette. Les autres femmes du bureau ont aussi revêtu des tenues adéquates, sauf la Directrice, mais elle fait les soldes privées de Chanel, c’est en général plus calme.

C’est à 11h45, en sortant de l’immeuble en haut de la rue de Rennes, que je m’aperçois de la catastrophe : mon cher carnet est resté à la maison, sur ma table de chevet suite à la grande révision de la veille au soir. Tant pis, place à l’improvisation.

11h55, première boutique de vêtements, du chic bas de gamme, Jenn’lenfer. Ce n’est pas l’émeute mais la foule est déjà là, mes semblables, mes sœurs, aujourd’hui mes ennemies. Je me dirige droit vers les robes au fond de la boutique, profitant de ma finesse pour me faufiler. Je retrouve la robe rouge qui m’avait tapé dans l’œil. Le temps de tendre le bras pour vérifier la taille, et une autre main s’en empare, une fausse blondasse l’emporte vers les cabines d’essayage. Zut. Je déteste les fausses blondes moi qui en suis une vraie, elles me font une concurrence déloyale. Donc, pas de robe rouge. Je regarde et tâte les autres couleurs, rien ne m’attire, je suis frustrée. Alors que je m’apprête à changer d’échoppe, la blondasse repose la robe rouge. Une seconde après elle est dans mes mains. La taille me convient, le profond décolleté aussi, je n’essaie même pas et passe à la caisse. Le prix ? -40%, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir.

Une robe rouge appelle des sous-vêtements raccord, je me rends chez duchesse Bing Blang à deux rues de là. La boutique est blindée, il faut dire que les soldes commencent à -50%. Grâce à mes repérages et à mon instinct de tueuse (de soldes), je retrouve tout de suite la gamme coquine, rouge et transparente. A part une Italienne et sa fille, personne. Je choisis tranquillement deux parures et un body qui devraient faire fondre mon mari. Enfin, quand je dis fondre…

12h30, il est temps de compléter ma gamme de hauts : pulls, chemisiers, gilets, direction Aglaée, le spot des post-adolescentes branchées. J’ai beau avoir 40 ans, c’est mon fournisseur principal. Maintenant, c’est la cohue totale, le flot des entrantes heurte celui des sortantes, ça pousse et bouscule, les mots fraternité et politesse n’ont pas cours à l’intérieur. Alors je fais comme les autres, je m’infiltre, je double, je marche sur quelques pieds, je me débrouille, j’évite les griffures d’ongle. Une demi-heure et trois gros sacs plus tard je suis de retour sur le trottoir. Il est 13 heures et j’ai faim. Il y a aussi la queue à la sandwicherie, qui pourtant ne solde pas vu les prix affichés. Mais j’ai faim.

13h15. Est-ce bien raisonnable de continuer ? Je suis alourdie de plein de sacs et allégée de presque 1000 euros, mieux vaut regagner le bureau. En remontant la rue de Rennes, un chausseur m’attire, je ne peux pas résister d’autant que la boutique est peu achalandée. 10 essais plus tard,  je suis l’heureuse propriétaire d’une paire de bottines fauves et d’escarpins noirs à très hauts talons. Geoffroy va encore hurler, il n’apprécie pas que je le dépasse d’une tête. Tant pis, ces escarpins à étage valent bien une remontrance.

Et je me retrouve de nouveau sur le trottoir, un monceau de sacs partout autour de moi, me demandant comment ramener tous ces achats d’abord au bureau et ensuite à la maison.  Je craque, je suis au bord de la crise de nerfs, je perçois les larmes monter, et en plus un bruit lancinant se fait entendre au ras de mes oreilles, je me retourne mais ne vois rien. Par contre je sens quelqu’un me secouer alors que la lumière devient plus forte.

-Vivi, réveille-toi, il est 7h30, tu es en retard.

 

Flûte, je rêvais ! Je redescends sur terre, j’ouvre les yeux, Geoffroy me regarde tendrement. Il est encore en pyjama, mais il commence tard aujourd’hui. Pas moi. Je me lève d’un bond et file dans la salle de bain.

-Vivi, si tu fais les soldes, pense à me trouver un nouveau portefeuille. Tu es bien plus douée que moi pour ce sport.

Nous sommes le 9 janvier, c’est le premier jour des soldes, et je suis à la bourre.

 

Régis.2016. Texte protégé par copyright.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Articles récents