Zombie soit qui manigance

La nuit descend lentement, et les âmes mortes sortent du grand aven pour se venger. Des voix profondes et gutturales retentissent dans ce début de pénombre. Camarades, en marche ! Vive la transe insoumise ! Non aux carences infernales, non à la retraite à 10 000 ans. Sous les pavés, la rage. Il est interdit d’inter-nuire.

Comme un seul mort-vivant, la troupe en loques se redresse et avance à pas lourds. Dans le ciel, le noir étreint le rouge, accompagné par le bruit assourdissant des mirages passant en rafale. Tout concorde, c’est une nouvelle guerre qui ne nous laissera pas en paix. Le funeste cortège quitte la garrigue et s’approprie la petite route. Quelques ombres tiennent des vélos rouillés, des rescapés du parti so-cycliste. Au loin, le village apparait avec son clocher illuminé. C’est la seule lumière de ce pays de cocasses. La troupe a faim, elle veut faire le plein de super, pas de mauvais sang, mais ici ce n’est pas l’empire d’essence. Seul le pinard coule à flot, couleur sanguine. Il est quasiment gratuit, et heureusement car leurs ventres affamés n’ont pas d’oseille.

Sentant la menace portée par l’odeur fétide, le maire a réuni son conseil des prudes hommes. Tous les chasseurs valides sont présents, ceux qui ont réussi à ne pas se tirer une balle dans le pied. Chacun est venu avec son fusil, sa pipe et son couteau. Vu leur âge, c’est l’hospice en folie, les vieux de la vieille nouvelle version. René Fallet serait mort de rire face à ces rigolos du front communal.

L’indicible armada pénètre dans le bourg, la faim justifie les moyens. Pour une fois, les habitants ont laissé les volets clos, c’est la peur aux trousses ! Même les chats errants ont disparu, vivre ailleurs une autre de leurs vies. Un autre endroit, un autre moment, the thrill of it all.

Un octogénaire têtu, du genre bercé trop près du mur enfant, se dresse au milieu de la grand-place, son vieux fusil en main. Reculez ou je tire un coup ! Il se croit dieu tout puissant pour stopper la grande invasion. En avant du bataillon, Mars attaque. D’un bond il pulvérise le vieillard. Ses membres ne sont pas perdus pour tout le monde, buffet froid !

En quelques minutes, le village des irrésistibles Ardéchois est rayé de la carte. Une seule survivante, une jeune journaliste égarée en vacances ici à cause d’une panne de voiture. Sa passion pour l’aéro-modélisme lui a permis de tout filmer : drone de drame. Les images sont publiées en direct sur les réseaux sociaux faceplouc et instablabla, sans oublier sa chaîne youtruc. Fred est un peu à part dans ce milieu, préférant la vérité à l’audience. De fait, elle n’est suivie que par des purs et durs, loin de cette « génération offensée » qui ressemble fort à une génération perdue. Elle filme beaucoup, puis Fred à c’t’heure se barre.

A des centaines de kilomètres de là, au château princier, le Présipereur s’interroge. Il n’est pas en forme, comme recouvert d’une pâle patine. Comment peut-on se révolter dans cette douce contrée qui me coûte un pognon de bringue ? Et puis cette histoire de zombie, on dirait un clip de Michael Jackson. Cela change de ces fébriles hiphopeurs ringards, à peine éclos. Non seulement j’ai épousé une momie, mais maintenant je me coltine des zombies, c’est ouf.

Les conseillers arrivent un par un, et entourent le Présipereur. Après une pichenette pour essuyer quelques traces de farine au bas du nez, chacun y va de son commentaire, de son idée. Au prix où ils sont payés, impossible de se taire, je palpe donc je suis. La logorrhée peut commencer. Envoyez les CRS, envoyez les chars, envoyez les men in black, n’envoyez personne, ils sont déjà morts, envoyez Stéphane Baderne… Bref, tout y passe face au monarque républicain, qui de toute façon n’en fera qu’à sa tête, persuadé qu’il vivra Austerlitz et non pas Sedan. Et pourtant, Badinguet n’est pas loin. Tout en parlant, chacun examine son smartphone, le cerveau de l’homme post moderne. Les images d’Ardèche deviennent virales et se répètent dans d’autres départements. C’est la ruée vers l’os. Fantasia chez les ploucs !!! Les tombes ne sont plus muettes, les macchabés dressés poussent des hurlements, contenus depuis des années, des décennies. Encore somnolents, ils avancent lentement, ils ne sont pas pressés, ils ont déjà eu un avant-goût de l’éternité.

Même au sein de la plus belle ville du monde, la révolte gronde. La terre tremble au cimetière du Père Lachaise. Une tombe bien connue se lézarde, la pierre tombale s’ouvre comme une porte de la perception pour laisser sortir Jim Morrison en chair et surtout en os. Sa voix profonde retentit, baby won’t you light my fire, ce qui réveille tous les autres gisants. Alors, d’autres cadavres exquis locataires de ce lieu se dressent. Franck Alamo cherche sa biche, Bashung sa petite entreprise, et Delpech file vers son Loir et Cher retrouver Laurette. Balzac tonitrue contre la tragédie humaine, Dac et Desproges retournent à l’âge de Pierre, Félix Faure est tout ému sans sa connaissance, Sarah Bernardt minaude devant « Chacha » Chabrol, Simone et Yves sont nostalgiques, Isadora Duncan râle contre Amilcar. Grouchy est en retard, il arrivera après la bataille.

La peur gagne le Présipereur. Que faire ? Il n’en sait rien, et en même temps il veut diriger. Il a soif alors, lassé, il commande un demi bien frais, mais la pression ne retombe pas. Soudain un conseiller a un trait de génie. C’est tellement rare. Mais celui-ci a un peu de culture. Ila vu « Mars Attack », alors il s’écrie : et si on leur faisait écouter Marilyn Manson ? Il a une voix d’outre-tombe. Génial, bondit Macroon. Faites installer des haut-parleurs et des lecteurs CD sur tous nos hélicoptères, et en avant, c’est l’apocalypse maintenant !

Quelques heures plus tard, tout est rentré dans l’ordre. Les zombies dans leurs caveaux et les conseillers dans leurs lofts. La moitié des Français est devenue sourde, mais est-ce bien grave ? Les politiques continueront à pérorer et les Français à n’en faire qu’à leur tête.

Loin de là, au cimetière central de Vienne, une nouvelle tombe s’entrouvre. Un homme aux cheveux hirsutes en sort. Ludwig Von Beethoven. Et il n’entend RIEN…

Régis, 05/03/2023